vendredi 26 février 2010

Le Petit Nicolas chez le dentiste



Nous finissions de déjeuner quand maman a dit à papa : "J'ai pris rendez-vous cet après-midi pour Nicolas chez le dé-eu-ène-té-i-esse-té-eu." Papa a arrêté de plier sa serviette, a regardé maman avec des grands yeux tout ronds et il a demandé : « Chez qui ?
- Chez le dentiste, je lui ai expliqué ; je ne veux pas y aller ! »Maman m'a dit qu'il fallait aller chez le dentiste, que j'avais mal aux dents depuis plusieurs jours et qu'après le dentiste je n'aurais plus mal du tout. Moi, j'ai expliqué à maman que ce n'était pas après le dentiste, ce qui m'inquiétait, c'était pendant. Et puis j'ai dit que je n'avais plus mal aux dents du tout et je me suis mis à pleurer.
Papa, alors, a frappé sur la table avec sa main et il a crié : « Nicolas, tu devrais avoir honte ! Je n'aime pas ces pleurnicheries ; tu n'es plus un bébé, il faut te conduire en homme. Le dentiste ne te fera pas mal ; il est très gentil et il te donnera des bonbons. Alors tu vas être très courageux et tu vas aller sagement avec ta maman chez le dentiste. »
Maman, alors, a dit que c'était papa qui allait m'emmener chez le dentiste, parce qu'elle avait pris rendez-vous pour lui aussi. Papa, il a eu l'air très surpris. Il a commencé à dire qu'il devait aller travailler, mais maman lui a rappelé qu'il avait congé cet après-midi et que c'est pour ça que le rendez-vous chez le dentiste était pour aujourd'hui. Papa, il a dit d'une petite voix fine que sa dent ne le faisait pour ainsi dire plus souffrir, et qu'on pouvait remettre tout ça à plus tard. Il a regardé maman, il m'a regardé, moi, et j'ai eu l'impression qu'il avait envie de se mettre à pleurer, lui aussi.
Nous sommes donc sortis après le déjeuner, papa et moi, pour aller chez le dentiste. On ne peut pas dire que nous rigolions beaucoup dans la voiture. Papa, je ne l'ai jamais vu conduire si doucement ; il avait l'air de réfléchir très fort. Et puis, sans me regarder, il m'a dit : « Nicolas, d'homme à homme. Qu'est-ce que tu penserais si nous faisions le dentiste buissonnier ? On pourrait aller faire un tour et on ne dirait rien à maman. Ça serait une bonne blague. » J'ai répondu à papa que ce serait sûrement une bonne blague et que moi j'étais pour, mais que je ne croyais pas que maman ça l'amuserait beaucoup, cette blague-là. Papa, il a soupiré et, très triste, il m'a dit qu'il avait parlé de ça pour rire. J'admire mon papa, parce qu'il a le courage de dire des blagues quand il est embêté.
Il y avait juste une place pour l'auto devant chez le dentiste. « C'est incroyable, a dit papa ; quand on a envie de se garer, on ne trouve jamais. » J'ai proposé à papa que nous faisions encore un tour de pâté de maisons, peut-être que la place serait prise ; mais papa a dit que le sort en était jeté, qu'il n'y avait qu'à y aller. Papa a sonné à la porte du dentiste et j'ai dit : « Il n'y a personne, papa, on reviendra un autre jour. » On allait partir quand la porte s'est ouverte, et une demoiselle qui avait l'air très gentille nous a dit d'entrer, que le docteur nous recevrait tout de suite.
On nous a fait entrer dans un petit salon. Il y avait des fauteuils, une petite table avec des revues, sur la cheminée une jolie petite statue en métal qui représentait un monsieur tout nu qui essayait d'arrêter des chevaux et, dans un fauteuil, un autre monsieur, mais pas en métal celui-là, et tout habillé. Nous nous sommes assis et nous avons pris les revues pour les lire, mais ce n'était pas très amusant, parce que dans presque tous ces journaux, il était question de dents, avec des images d'appareils et de ces photos où on voit les gens par l'intérieur ; et ce n'était pas très joli. Les autres revues étaient assez vieilles et déchirées.
La seule chose qui m'a plu, c'était celle où on voyait Robic en maillot jaune sur la couverture et où on expliquait comment il venait de gagner le Tour de France. Le monsieur, qui n'avait rien dit jusqu'à présent, quand il a vu que nous ne lisions plus les journaux, s'est mis à parler avec papa.
« C'est pour le petit que vous venez ? », il a demandé. Papa lui a répondu que c'était pour nous deux. Le monsieur a dit qu'il ne fallait pas être inquiet, que c'était un très bon dentiste. « Bah ! a dit papa, nous n'avons pas peur, n'est-ce pas Nicolas ? », et moi, comme j'étais très fier de papa, j'ai fait comme lui : « Bah ! » Alors, le monsieur a dit que nous avions bien raison, que ce dentiste avait une main légère, légère, et il nous a expliqué qu'il lui avait fait une opération où il avait dû ouvrir les gencives et qu'il n'avait presque rien senti, et il nous a donné un tas de détails. Moi, je me suis mis à pleurer et la demoiselle qui nous avait ouvert la porte est venue en courant et elle nous a amené deux verres d'eau, parce que papa n'avait pas trop bonne mine, lui non plus.
Le dentiste, alors, a ouvert la porte et il a dit : « Au suivant ! » Le monsieur qui nous avait raconté ses opérations est entré chez le dentiste en souriant : « Tu vois, m'a dit papa, il n'a pas peur le monsieur, il faut être comme lui. » Papa allait prendre une revue, pour lire, quand le dentiste a ouvert de nouveau sa porte et le monsieur est sorti, toujours en souriant. « Comment ! a crié papa, c'est déjà fini ? »
- Mais oui, a dit le monsieur, moi je n'étais venu que pour payer. C'est à vous maintenant, mon pauvre vieux.
Et il est parti en rigolant.
- Au suivant, a dit le dentiste, dépêchez-vous, je vous en prie, j'ai une journée très chargée.
- Nous reviendrons un autre jour, a dit papa, quand vous aurez plus de temps ; nous ne voulons pas vous déranger, n'est-ce pas Nicolas ?
Moi, j'étais déjà devant la porte de sortie quand le dentiste a dit que pas de bêtises, c'était à nous et qu'il n'y avait aucune raison de s'inquiéter. Papa a dit qu'il n'était pas inquiet du tout, qu'il avait fait la guerre, et il m'a poussé devant lui chez le dentiste.
C'était plein d'appareils blancs qui brillaient dans la pièce et il y avait un grand fauteuil de coiffeur chez lui. « Par qui commence-t-on ? » a demandé le dentiste en se lavant les mains. « Commencez par le petit, a dit papa, moi j'ai le temps. » Je voulais dire que j'avais moi aussi tout mon temps, mais le dentiste m'a pris par le bras et m'a fait asseoir dans le fauteuil.
Il était drôlement gentil, le docteur, il m'a dit qu'il ne me ferait pas mal, qu'il me mettrait juste un peu de pâte pour boucher un trou dans une dent, que je mangeais sûrement trop de sucreries, mais qu'il me donnerait un caramel si j'étais bien sage pendant qu'il me soignait. Il m'a dit d'ouvrir la bouche, il a regardé dedans, il a gratté un peu et puis il a approché un appareil avec une petite roue qui tournait très vite. Papa a poussé un cri quand le dentiste a mis la roulette dans ma bouche. Ça a secoué un peu dans ma tête, après, le dentiste a mis de la pâte dans ma dent, il m'a fait rincer la bouche, il m'a dit : « C'est fini ! » et il m'a donné un caramel. J'étais drôlement content.
Le dentiste a dit à papa que c'était son tour, maintenant. Mais papa a dit qu'il se faisait très tard et qu'il avait encore des tas de courses à faire. Le dentiste s'est mis à rire et il lui a dit qu'il fallait être sérieux. Là, je n'ai pas compris, parce que je n'ai jamais vu mon papa aussi sérieux que ce jour-là.
Papa a hésité, puis il est allé lentement vers le fauteuil du coiffeur. « Ouvrez la bouche ! » a dit le docteur. Papa devait penser à autre chose parce que le dentiste a dû répéter : « Ouvrez la bouche, ou je passe à travers ! » Papa a obéi. Moi, j'ai regardé les photos de dents qu'il y avait sur les murs chez le dentiste, quand j'ai entendu un grand cri. Je me suis retourné et j'ai vu le dentiste qui secouait sa main. « Si vous me mordez encore une fois, je vous arrache une dent, n'importe laquelle ! » Papa a dit que c'était nerveux. Le dentiste a pris la roulette et j'ai prévenu papa de faire attention, parce que ça, ça secouait un peu ; alors papa a crié et le dentiste lui a demandé de se tenir tranquille parce que ça faisait mauvais effet sur la clientèle qui se trouvait dans le salon d'attente. Enfin, avec papa, ça n'a pas duré trop longtemps et ça s'est très bien passé, sauf quand papa a donné un coup de pied sur le genou du dentiste. Papa est sorti du fauteuil tout souriant.
- « Alors, Nicolas, il m'a dit, nous nous sommes conduits en hommes, hein ?- Oh ! Oui, papa, je lui ai répondu. »
Et nous sommes sortis de chez le dentiste, papa et moi, fiers comme tout, en suçant chacun notre caramel

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